J’ai croisé Samirah il y a un an de ça, et son énergie et son sourire m’ont immédiatement captivée. Le courant est passé et les mois aussi, puis je l’ai recroisée par hasard il y a peu de temps. Mais cette fois, je ne l’ai pas lâchée et j’ai voulu en savoir plus sur l’origine de sa positivité rayonnante.

Née garçon et devenue une belle jeune femme, elle a bien voulu nous raconter son histoire et son combat pour être soi.

« Mon papa est métis breton et japonais-Maré et ma mère est lifou-indienne. De par la mixité de cultures, on pense habituellement qu’il y aurait la facilité d’acceptation vis-à-vis de changements de sexualité, parce qu’on parle d’abord de ça. C’est par là que ça a commencé, j’étais pas en mode devenir une femme à l’époque ».

Jeune enfant, Samirah joue à la poupée alors que son frère joue à la bagarre et à la guerre avec des jouets « pour garçon ». Son père le remarque et ne manque pas de lui faire quelques remarques tranchantes. A partir de ce moment là et jusqu’à il y a peu, les discussions restaient très superficielles, voire froides entre eux. Heureusement, Samirah peut enfin entretenir une relation plus proche avec son père aujourd’hui et elle n’a aucune amertume envers lui. « Mon papa n’acceptait pas du tout. Bon après, je comprends, c’est vrai que c’est pas évident en tant qu’homme viril de voir un de ses garçons jouer à la poupée. » 

Samirah a grandi dans un quartier populaire, et à l’époque, elle est encore un garçon. « Elle » n’est pas encore sortie de sa chrysalide, nous la nommerons donc « il » jusqu’à ce que la transition se fasse.

À l’école, il joue avec les filles, puis remporte un succès particulier au collège. « J’ai eu des petites copines, parce que tu ne peux pas dire « j’aime pas le chocolat » tant que tu goûtes pas ! J’ai donc fait des petits bisous, des flirts. Il y avait de l’attirance, mais ce n’était pas de l’attirance physique. C’est ça peut-être le plus bizarre dans cette histoire de sexe, d’émotions, de choix ; c’est que j’étais attirée envers elles, mais seulement émotionnellement. Je les aimais mais pas comme un homme et une femme doivent s’aimer. Au moment des disputes, elles se mettaient à pleurer et moi aussi. »

Arrivé au lycée, il sent qu’il doit faire un choix. Ce choix s’avère difficile, car ayant reçu une éducation mélanésienne, il sent qu’il ne correspond pas aux critères virils et guerriers de ses ancêtres. Mais l’intimité avec les filles ne se passe pas comme il se devrait, allant même jusqu’à lui faire peur. Puis il rencontre le frère d’une amie qui est gay et il trouve enfin ce qui lui correspond… « Mais il manquait quelque chose ».

Samirah était Témoin de Jéovah où l’enseignement et les principes sont assez radicaux « Si t’es témoin de Jéovah, Patrick Sébastien, Shakira, tu oublies, c’est Satan. Nous, on a grandi avec les reportages animaliers. » Malgré cela, il tire des valeurs universelles de ces lectures et réunions, telles que le respect, le partage, l’amour de soi-même et l’écoute. Un beau jour, tout à fait naïvement et plein de fougue propre à ses 17 ans, il ose dire devant l’assemblée que « Dieu, dans sa misérocorde, doit sans doute accepter l’homosexualité, et que l’homophobie est une idée sortie de la tête d’un être humain, donc, quelque part, illégitime. » Mais la réaction générale n’a pas été celle escomptée. Après un grand silence, Samirah est banni des Témoins de Jéovah.

C’est ainsi qu’il commence à assumer son homosexualité au grand jour, qui jusqu’alors était connue par la famille mais jamais évoquée clairement. « Au fur-et-à-mesure du temps, j’ai eu la force de m’affirmer. J’ai eu de la chance d’avoir une famille qui était là : seulement le côté maternel, car le côté paternel est Témoin de Jéovah ». C’est à ce moment-là que Samirah commence à porter des accessoires féminins, nous allons donc l’appeler « elle » puisque sa transition de genre commence à être assumée et visible.

Passionnée de lecture, elle trouve un livre sur l’acceptation de soi et la force de l’esprit. Grâce à lui, elle réussit à prendre de la distance avec les personnes qui la critiquent « Désolée pour l’expression vulgaire mais on n’a pas élevé les cochons ensemble ! Leur regard n’est pas important, on ne vit qu’une seule fois. Il faut vivre ». C’est en observant les personnes homosexuelles plus âgées qu’elle et qui n’ont pas réussi à s’assumer à cause de la pression sociale, vivant une vie qui ne leur ressemble pas, que Samirah sait que ce ne sera pas son cas « Eux ils sont tristes, leur famille est triste, leurs enfants sont tristes… moi je veux pas être triste ! ».

Pour se faire accepter en tant que femme dans le monde mélanésien, Samirah a fait preuve de beaucoup de courage. Désormais acceptée, elle peut passer du temps avec les garçons comme avec les filles vêtue d’une robe popinée, alors que les deux genres sont généralement séparés, surtout lors des mariages « je sais que tout le monde me regarde mais peu importe, je sais qu’ils m’acceptent ».

Wedding-planner de métier, Samirah organise parfois des mariages à Lifou. Elle s’amuse à entendre les remarques des gens qui s’imaginent qu’elle ne comprend pas un mot de ce qu’ils disent. « Tous les jours, on me regarde… et on me critique ! Oléti ! La négativité, j’en ai fait une force. J’en ai fait mon chemin et pas une montagne ». 

Transsexuelle assumée, Samirah ne fréquente pas pour autant beaucoup d’autres trans et ne se reconnaît pas en elles « ce qui me dérange le plus c’est l’image de la transsexuelle océanienne et complètement stéréotypée, trop loin de la Femme pour moi ». Le monde de la nuit ne l’intéresse pas. Les remarques d’une prof d’histoire qui lui dit que faire ses études ne sert à rien vu qu’elle travaillera sûrement dans un cabaret lui permettent de refuser cette image et la motivent de plus belle, se répétant « je vaux mieux que ça ».

Côté discriminations, elle a vu une autre jeune femme être sélectionnée pour le poste de secrétaire administrative qu’elle visait, alors que Samirah avait les capacités requises pour ce travail « elle savait même pas faire Excel ! Mais je m’en fous, ça me fait plus rire qu’autre chose, tant pis pour eux. Tu sais pas la perle que tu perds ! Moi je suis une boule d’énergie, j’emmène toujours le soleil, à chaque boulot où j’ai été. Par exemple il y en avait un où l’équipe ne s’entendait pas. Moi j’arrive : cohésion, amour… et puis tout le monde s’aime bien après ».

Son approche de la féminité est soignée et colorée mais pas exubérante : « je suis inspirée par les femmes leader, les femmes de force. De nos jours, en tant qu’homme tout t’es dû, en tant que femme c’est plus dur de faire son chemin. Mais en tant que homme qui veut devenir une femme, c’est beaucoup plus difficile ! Mais c’est ça la vie, c’est fait d’objectifs et de buts. Même si tu te casses la gueule, relève-toi ! »

Belle, rayonnante et entourée de ses amis et de ses familles, Samirah poursuit sa route et butine la vie telle une abeille, se concentrant sur sa société pour gagner bien sa vie, en tant que femme libre.

 

Photo haut de page : Samirah aujourd’hui